Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
passionsimple
23 juillet 2012

LA PEUR

Ne pas avoir peur de la mort. Les êtres humains d'aujourd'hui, comme ceux d'hier, sont élevés, éduqués avec la crainte de la mort. Avec cet horrible oripeau au bout de leur existence, on peut les convaincre d'endosser n'importe quel vêtement, d'accepter n'importe quelle habitation, de vivre n'importe quelles heures, pour ne pas revêtir un jour l'habit d'épouvantail. Imaginez une humanité qui n'aurait pas peur de mourir, elle serait ingouvernable parce que libre. C'est avec la peur de la mort qu'on nourrit quotidiennement les cauchemars des peuples et qu'on les empêche de rêver. Gouvernants, vous risqueriez trop. la peur du risque, c'est la peur de la mort. le goût du risque, c'est le goût de la vie. Les assureurs sont contre le risque, contre la mort. on trace autour de soi des pieux de protection, des grillages contre l'évasion, des toits contre les rêves et on croit qu'on vit à l'abri. a l'abri du jour. on ne vit pas sous le ciel de la vie, on subsiste. Car je me sens sous un abri, l'abri des autres, l'abri du temps.

On essaie d'acheter le temps,comme le reste. Mais généreux et prodigue il file toujours entre les doigts. Et plus vous serrez, plus il s'échappe. Les paumes offertes, les doigts ouverts, seul manière d'attraper le temps, sinon de l'apprivoiser. On ne peut apprivoiser que soi-même, et la seule façon c'est de ne pas construire de cage. La pire cage est celle qu'on se construit soi-même. Certains finissent par construire tellement de barreaux qu'ils arrivent à ne plus voir dehors. Envolez-vous à tout moment, et si vous vivez sans peur permanente, si vous avancez sans cette crainte séculaire, vous savez qu'à tout moment vous pourrez vous envoler. Cette certitude vous rend libre: en vous offrant des ailes, la disparition de la peur de mourir vous offre la liberté. Vous décollez de terre quand vous voulez, vous n'êtes donc pas collés à la mort mais à la vie, avec ses caprices, ses fantaisies, ses désirs, ses joies. Vous n'avez pas peur de la mort, donc vous ne mourrez pas. A peine vous éteindrez vous. Vous éteignez une flamme, flambeau transmis d'âge en âge, lumière de la vie, lutte contre les ténèbres qui vous envahissent.

C'est en n'ayant pas peur de la mort que vous devenez immortel. Pourtant vous savez qu'elle existe, vous savez que vous êtes mortel. Mais à mesure même que vous le savez, que vous le vivez, vous êtes un être humain relié à toute la chaine univerelle de la vie: de connaître vos limites vous rend illimité, de savoir votre fin possible vous donne l'infini, de connaître votre mort nécessaire vous fait immortel. Vous mourrez, mais vous ne serez pas détruit. Surtout les autres, autour de vous, vos pires ennemis, à la haine toujours illimitée, les grands échafaudeurs de pouvoir toujours transitoire, les possesseurs de richesses toujours périssables, les grappilleurs d'honneurs toujours ridicules, vous saurez qu'ils ne sont pas vos ennemis mais leurs propres ennemis, ni vos adversaires mais leurs propres destructeurs. Ils ne sont pas comme vous, qu'y pouvez-vous? Ils sont pur hasard, contingence ou nécessité, et vous les admettez comme tels, comme autres. Ils n'ont aucune importance, pas plus que vous. Rien n'a d'importance. Pas même le soleil qui s'éteindra un jour, comme vous, seulement un peu plus tard. Mais si rien n'a d'importance, si rien n'a jamais d'importance, tout en a: l'étincelle de durée limitée que vous êtes vous rend complètement libre, parce que cela vous est égal de mourir, puisque tout est égal, sauf si vous aviez encore quelque chose à faire et qu'il vous est indifférent. Vous êtes ingouvernable, vous êtes indominable, vous êtes libre, vous vivrez vraiment, sans crainte. Si vous ne craignez pas la mort, c'est que vous n'avez peur de rien. Et si vous n'avez peur de rien, vous n'êtes pas à la merci d'aucune chose, d'aucune personne, d'aucun pouvoir.

Ca fait des siècles que pour répondre aux embarras de l'intelligence, les hommes ont inventé Dieu et qu'on leur a  enseigné la peur de la vie aprés, la peur de la vie pendant. La peur de la mort, c'est toujours la peur de la vie, de ses modifications possibles, de ses améliorations souhaitables, de ses changements espérés. Ne changeons pas l'ordre des choses, ça pourrait aller plus mal. La peur de la mort, ce n'est pas le respect de la vie, c'est l'inverse; la peur de la vie avec ce qu'elle peut avoir de mouvant, de chatoyant. Vivez selon votre coeur, et les peuples montent les mains nues aux barricades, en 1830,1848,1870,1917,1944. Ils vivent heureux, quelques mois, quelques jours, quelques heures. Ils sont déjà vaincus par ceux qui, tapis dans l'ombre, attendent le moment de s'asseoir pour récupérer le  pouvoir ; ils sont là pour ça, pour moduler, pour rétablir, pour continuer, pour reprendre, pour arranger, pour faireà nouveau alliance avec la mort inéluctable. Mais vous, vous aurez vécu de tout votre coeur, peuples, avec le souvenir de ces heures écoulées. Avant que les éternels Versaillais surviennent avec leurs bonnes raisons. C'est parce qu'ils ont peur de la mort, eux, qu'ils vous tuent.

Tels les oiseaux qui continuent à chanter dans la tempête malgré l'adversité, d'âge en âge, de saison en saison, les envols de peuples gravent pour l'éternité les marches de la liberté. Toujours vaincus à la longue, achetés, ou négociés, mais pour un temps, le temps de l'étenité, libres.

(extrait de Requiem pour la vie de Léon Schwartzenberg)

Publicité
Publicité
Commentaires
M
Un bouquin à lire qui, bien qu'il aie déjà quelques années, s'inscrirait bien dans le cadre de cette réflexion : "la mémoire des vaincus" de Michel Ragon - il existe en plusieurs éditions dont poche. Si ma mémoire est bonne je l'ai en deux exemplaires (j'ai des milliers de bouquins)<br /> <br /> Bonne journée
passionsimple
Publicité
Archives
Publicité